Des habitants de Kousséri souffrent de fièvre typhoïde ou de diarrhée, des problèmes liés entre autres à la consommation d’une eau de mauvaise qualité
Début mars, Adoum, un habitant de Kousséri, a contacté la rédaction des Observateurs de France 24 pour partager ses inquiétudes concernant la qualité de l’eau dans sa ville et dans les environs.
«L’immense majorité des habitants consomment l’eau des puits. Certains ont été creusés grâce à l’argent d’ONG turques, comme Kimse Yok Mu, dans le quartier Madagascar par exemple. Cette eau est gratuite, mais pas toujours potable, notamment car les puits ne sont pas toujours creusés assez profondément. Résultat : certains habitants tombent malades. Souvent, ils savent que leurs problèmes sont liés à l’eau, mais ils préfèrent consommer de l’eau non potable plutôt que de mourir de soif», a-t-il indiqué.
Plusieurs ONG étrangères – notamment turques – financent en effet la construction de puits à Kousséri. France 24 a pu échanger avec l’une d’entre elles, KIM International. Cette ONG belge émane de l’ONG turque Kimse Yok Mu, fermée en juillet dernier à la suite du coup d’État avorté en Turquie.
Les ONG étrangères donnent ainsi de l’argent à des entreprises locales – qui se chargent des travaux – ou à des ONG locales – qui creusent les puits elles-mêmes ou font appel à des entreprises pour cela. France 24 a également pu échanger avec deux de ces ONG locales, l’Association humanitaire pour l’assistance et le développement, qui affirme collaborer avec quatre ONG étrangères, et une antenne de l’ONG turque Cansuyu.
Adoum poursuit : «Les autorités locales ont conscience du problème, mais elles n’apportent aucune solution. Il est possible de souscrire un abonnement auprès de la Camerounaise des Eaux (ex-Société nationale des eaux du Cameroun, Ndlr), censée fournir de l’eau potable, mais son réseau n’alimente pas toute la ville, l’abonnement coûte cher, et l’eau a un goût salé…»
Interrogé par France 24, Ambroise Simon, le médecin-chef du district de Kousséri, confirme les problèmes liés à la qualité de l’eau :
Certains habitants ont la diarrhée, d’autres la fièvre typhoïde. (Cette infection est causée par des bactéries qui sont transmises lors de l’ingestion de nourriture ou d’eau contaminée par des selles. Elle peut provoquer une fièvre prolongée, des malaises, la diarrhée, etc., Ndlr.) Nous avons d’ailleurs constaté une augmentation des cas de fièvre typhoïde récemment.
Il y a différentes explications : certaines personnes boivent l’eau du fleuve, il y a des problèmes d’hygiène, par exemple lorsque les poubelles trainent autour des puits… De plus, la majorité des puits ont été construits de façon artisanale, sans respecter aucune norme : ce sont généralement des dispositifs assez simples, avec une pompe manuelle permettant de remonter l’eau. Et il est rare que l’on fasse des analyses pour déterminer si l’eau de ces puits est vraiment potable.
« Plus de 90 % des puits ne respectent pas nos recommandations »
Les normes de construction des puits concernent notamment la profondeur du forage et la distance minimale à respecter par rapport aux latrines les plus proches. Seul problème : aucune règle claire ne semble avoir été édictée à Kousséri. Contacté par France 24, un membre du personnel de la délégation de l’Eau et de l’Energie – un service de l’État collaborant avec la mairie – précise :
«Pour des raisons d’hygiène, nous estimons que les puits doivent être creusés à 60 mètres de profondeur au minimum et que les latrines les plus proches doivent être situées à plus de 60 mètres. Mais ici, plus de 90 % des puits ne respectent pas cela : certains sont construits à quelques mètres des latrines ou à une dizaine de mètres de profondeur, puisqu’on peut trouver de l’eau à cette profondeur à Kousséri.
«À titre personnel, j’utilise donc l’eau que l’on peut récupérer au robinet de l’hôpital, l’un des rares endroits où elle est vraiment potable. Sinon, l’autre solution est de purifier l’eau en la faisant bouillir, en utilisant de la javel ou du chlore. Nous essayons d’ailleurs de sensibiliser la population à ce sujet souligne ce dernier.
Tous les puits n’ont pas été construits par des ONG locales financées par des ONG étrangères : certains ont aussi été installés par des particuliers et la municipalité. Mais en ce qui concerne les ONG locales, le problème est qu’elles ne viennent jamais nous voir pour demander des autorisations ou des conseils… Et nous n’avons jamais le temps d’intervenir lors de la construction de ces puits, car ils sont parfois creusés en quelques heures seulement. Les ONG turques qui financent ces travaux viennent sur le terrain de temps en temps, mais sans vérifier dans les détails ce qui a été construit. »
Toutes les ONG contactées par France 24 ont assuré que leurs puits ne posaient aucun problème de santé publique, bien qu’elles ne semblent suivre aucune des « recommandations » de la Délégation de l’eau et de l’énergie. KIM International a d’ailleurs indiqué ne « jamais travailler avec les autorités locales pour les puits d’eau en général » et collaborer « uniquement avec Bati l’Afrique, une société tchadienne » construisant notamment des puits. De son côté, l’Association humanitaire pour l’assistance et le développement a assuré que la municipalité ne leur avait « jamais dit comment faire« .
KIM International a indiqué qu’il fallait 3 000 euros pour ouvrir un puits, tandis que les deux organisations locales ont fait savoir qu’elles recevaient entre 1 220 et 1 370 euros de la part de leurs partenaires étrangers pour les construire. KIM International ajoute : « Nous savons que certaines ONG locales construisent des ‘puits’ à des prix dérisoires – entre 1 000 et 2 000 euros en moyenne – mais ceux-ci ne sondent qu’à 15 ou 20 mètres de profondeur, l’eau n’y est pas suffisamment filtrée, ce qui provoque des maladies. »