L’héritière de l’explorateur italien Savorgnan de Brazza revient sur les motivations de la donation qu’elle a faite au musée national du Cameroun.
Descendante du Grand Savorgnan de Brazza, vous êtes une Italienne pur-sang. Vous vous sentez bien dans votre peau lorsqu’on vous identifie comme cela ?
Oui ! Evidemment ! Je suis très fière d’avoir eu dans ma famille un colonialiste qui n’était pas un conquéreur mais un homme de dialogue.
Qu’est-ce que vous avez en vous, qui tienne de lui ?
Peut-être la conjonction de ce qu’il a fait, la conjonction de la mission de votre président Biya. Parce que j’admire énormément, dans ce monde très confus et global, les hommes politiques, les chefs d’Etat qui ont comme mission l’unité dans la diversité ?
C’est la symbolique même de ce polyptique ?
Oui ! Et aussi qui donnent une énorme importance à la culture.
Idanna, nous sommes curieux de savoir quel est le lien entre votre rêve à vous et cette uvre qu’on peut voir aujourd’hui. Vous avez eu une sorte d’inspiration dans un rêve qui a donc pris corps à travers cette série de peintures
On a commissionné cette toile au mois d’octobre 2005, presqu’un an avant l’ouverture de l’exposition à Rome. Il y avait mon mari, des collègues venus de l’Italie et on a donné carte blanche aux artistes : «vous pouvez faire ce que vous voulez.» Il y avait 11 artistes qui travaillaient ensemble, c’est une chose très rare. Si on va en Amérique, on ne trouverait pas 11 artistes qui travaillent ensemble parce que chacun est un peu maniaque. Alors, on en a trouvé au Congo, avec tout le matériel. Il y avait des gens qui me disaient que c’était complètement de la folie, ils vont les vendre, etc. Mais moi je continuais à dire «j’ai confiance !». Dans mon âme, j’étais préoccupée et j’ai fait un rêve. Le rêve était fantastique parce que j’ai vu toute la toile finie en face de moi avec ces personnages de Roi Makoko Iloo Ier, Savorgnan de Brazza, Pierre Lods. Il y avait d’autres personnages qui étaient visibles et qui sortaient de la toile. Il y avait tous les symboles de l’Afrique. C’était des symboles, mais moi je ne les connaissais pas. J’ai vu tout ça en explosion de couleurs. Je me suis réveillée à cause de la beauté de cette vision et je suis allée à l’ordinateur tout de suite, j’ai écrit mon rêve au directeur de l’Ecole de Poto Poto. Et tout d’un coup, une semaine après mon rêve, il y a eu des images qui ont commencé à prendre corps. C’est uniquement à Rome, quand tout le tableau était ensemble, comme c’est dans le musée national maintenant, que j’ai réalisé que c’était exactement mon rêve. Et puis le tableau est allé à New York. Enormément de gens sont allés le voir. Il est parti du Congo et il est devenu international.
Qu’est-ce qui nous a valu, à nous Camerounais, le privilège de le voir atterrir dans notre musée national ?
C’est un polyptique, «polis» en grec ça veut dire «plusieurs». Il y a énormément de symboles. Il y a par exemple un tableau qui représente un masque qui existe au Cameroun aussi, et d’autres symboles que les Camerounais peuvent reconnaitre. A New York, il y avait de nombreuses personnes qui voulaient acheter chaque élément et on a refusé. L’idée était toujours de le donner à une institution qui serait comme une lumière de culture. Alors, j’avais pensé à quelques musées en Amérique et à Bruxelles. Finalement, j’ai vu des photos du Musée national. Les musées autour du monde sont là depuis des années mais en Afrique il n’y a pas de musées comme ça. Je voyais le Cameroun comme une lumière entourée d’obscurité, et c’est une lumière essentielle en Afrique. Je me suis dit: c’est fantastique d’avoir l’opportunité et l’honneur de pouvoir placer cette toile dans ce musée avant que le musée n’ouvre.