De manière formelle ou informelle, de nouvelles habitudes sont instituées dans le quotidien des citoyens
«Ce sont là des scènes que nous visionnions à la télé et au cinéma; ça paraissait lointain. Depuis que Maroua a été touché par les kamikazes, nous avons appris à vivre avec la peur». Félix Etamè, agent dans une société d’assurance, est confronté au spectre monstrueux d’une attaque kamikaze.
A Nkondongo (Yaoundé II) où il occupe un modeste deux†pièces avec son épouse et ses trois enfants, la peur culmine avec la dernière explosion survenue à Maroua.
Marco, l’aîné des enfants, veut lancer son géniteur dans un jeu de médium: «le kamikaze, marmonne†t†il, c’est quoi papa?» L’embarras du père se lit à la hauteur de son soupir. Compréhensible. Parce que le pays n’a jamais vécu cela. Seulement depuis quelques jours, le premier acte d’une attaque terroriste s’est joué sous les yeux des Camerounais.
«Ce qui s’est passé à Maroua et à Fotokol n’est pas un fait divers. Cette tragédie est révélatrice de beaucoup de symptômes et conséquences», analyse Grégoire Mfou’oulou, capitaine retraité de l’armée de l’air camerounaise.
Cet ancien soldat formé à la division anti†terroriste de l’Ecole de Guerre de Nanterre (France) tient pour vrai que «la terreur dans une forme nouvelle creuse chaque jour chez ceux qui le l’ont jamais vécue (même dans une version simulée) une énorme peur. Ce d’autant plus que les populations basées loin du théâtre des évènements savaient que c’était militaire contre militaire. La perception a changé dès lors que beaucoup ont intégré le fait que les civils sont aussi visés».
Dans la capitale camerounaise, la barbarie semble être venue endeuiller les sourires dans les familles. Ce d’autant plus que Boko Haram et bien d’autres organisations djihadistes ont réussi à exporter leurs noms même dans les tréfonds de la ville et les environs.
A Nkoabang (banlieue du sud†est de Yaoundé) où il vit avec ses parents, Victorien Mvondo, 07 ans, cite fébrilement à la pelle Al Qaida, Daech, Ansuru.
Nouvelle vie
Ainsi, la vie autrefois figée dans de petits bouts de bonheur a changé à Yaoundé. Désormais, les citoyens s’appliquent les qualificatifs de sécurité. Cela n’a pas à se dévoiler outre mesure. Dans les quartiers populeux, la menace terroriste constitue un argument pour que chacun rentre chez soi tôt.
Au lieu†dit Emombo 2e, le décor indique dès 19 heures une nouvelle conception du loisir: celui de courte durée. Statistiquement, 8 bars†dancing sur 10 ferment avant 19 heures. «On ne va pas maintenir la réputation de quartier d’ambiance avec ce qui se passe ces jours†ci; ici on s’amusait, on buvait, on mangeait et on rigolait plus que nulle part ailleurs dans la cité», confie Théophile Kaji, un barman. A la vérité, le flot du plaisir ici n’est plus le même depuis quelques jours.
Comme s’il s’agissait d’un mouvement collectif d’instinct de survie. Théophile Kaji lie cela à un fax piraté qui a atterri au centre des pompiers de Mimboman et une lettre anonyme contenant un message bref «BH va frapper» accompagné de la photo d’une adolescente en burqua.
Au lieu†dit «Entrée Maetur», peu avant Nkoabang, la nuit, les rues sont prises d’assaut par les militaires. Ce 29 juillet 2015, un haut gradé flanqué dʹacolytes en treillis de combat exige la fermeture des buvettes. L’orateur pose, kalachnikov en sautoir, devant un véhicule blindé et deux pick†up équipés de mitrailleuses. Personne ne croit à une parodie bâclée. «Les gens doivent apprendre à vivre avec çà», souffle†t†il au reporter avant de lui restituer le dialogue nocturne qu’il a eu avec une prostituée à Mvog Atangana Mballa.
Modulant les accentuations pour faire revivre l’échange, le militaire avance: «je suis désormais à la maison parce qu’on nous dérange avec ces histoires de cartes nationales d’identité.» «Même le dehors est devenu plus difficile à Yaoundé», ponctue†t†il.
«C’est grave. C’est tout le temps qu’on fouille des gens ici à la mosquée», révèle Ismaila Benouna. «C’est grave maintenant», ajoute†t†il.
Cette aggravation n’est plus une impression. On peut la chiffrer: pour les cinq prières quotidiennes ici à la mosquée de Tsinga, on a autant de fouilles. Réticents au départ, les croyants se prêtent au jeu. Tous les mouvements des uns et des autres sont coordonnés en finesse par des actions de renseignements. «On ne le faisait pas. Mais parce que le terroristes frappent dans les lieux de culte, nous avons pris de nouvelles dispositions», confesse Dada Oumaru, un proche de l’imam principal. L’homme n’a pas besoin d’artifice militaire.
Toutefois, capitalisant sur son séjour à la Mecque (Arabie Saoudite), il donne des rudiments de secours aux fidèles. «A ces gens, avant chaque prière, je leur donne des indications en cas d’attaque ou d’alerte à la bombe comme on m’a enseigné lors de mon pèlerinage en 2010», précise†t†il.
En réalité, tout cela est fondé sur la nécessité d’éduquer les masses face au terrorisme.